Les funérailles de Victor Hugo en 1885

Publié le par C. Bacon

 

Textes concernant la mort de Victor Hugo et ses funérailles

Extraits de Actes et paroles, 4

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

En italiques, les extraits des discours.

Deux photos des funérailles :

 


Les réactions à l'annonce de sa mort à l'étranger:

A Rome, la chambre des députés est en séance quand le télégraphe apporte la triste nouvelle. M. Crispi monte à la tribune « La mort de Victor Hugo, dit-il, est un deuil, non seulement pour la France, mais encore pour le monde civilisé. Le président de la chambre ajoute « Le génie de Victor Hugo n'illustre pas seulement la France, il honore aussi l'humanité. La douleur de la France est commune à toutes les nations. L'Italie reconnaissante s'associe au deuil de la nation française. » Est-il besoin de dire la part que, dès ce premier jour, la presse parisienne et française prit dans le deuil de tous ? Plusieurs journaux du soir parurent encadrés de noir. Tous étaient pleins du souvenir et de la louange du poète.


Le testament d'Hugo

Le 2 août 1883, Victor Hugo avait remis à Auguste Vacquerie, dans une enveloppe non fermée, les lignes testamentaires suivantes, qui constituaient ses dernières volontés pour le lendemain de sa mort

Je donne cinquante mille francs aux pauvres. Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard
Je refuse l'oraison de toutes les églises; je demande une prière à toutes les âmes.
Je crois en Dieu.
VICTOR HUGO.



Les décisions concernant ses funérailles, notamment le dépôt de sa dépouille au Panthéon :

Le 23 mai, le président du conseil, à l'ouverture de la séance du, sénat, prononçait sur Victor Hugo de mémorables paroles. Il disait : « Son génie domine notre siècle. La France, par lui, rayonnait sur le monde. Les lettres ne sont pas seules en deuil, mais aussi la patrie et l'humanité, quiconque lit et pense dans l'univers entier. C'est tout un peuple qui conduira ses funérailles. »
Et il présentait un projet de loi par lequel des funérailles nationales seraient faites à Victor Hugo.

 

Comme si le génie de Victor Hugo dictait, une idée nouvelle et grande se présente à tous

La commission décide Le corps de Victor Hugo sera exposé sous l'Arc de Triomphe. Il partira de là pour le lieu de sa sépulture.

La commission choisit, dans sa seconde séance, le projet de décoration de l'Arc de Triomphe présenté par M. Garnier. Mais où serait inhumé Victor Hugo ?

L'Assemblée nationale de 1791 avait décidé que le Panthéon « serait destiné à recevoir les cendres des grands hommes, à dater de l'époque de la liberté française elle avait fait inscrire Sur le fronton AUX GRANDS HOMMES LA PATRIE RECONNAISSANTE et elle avait immédiatement décerné à Mirabeau l'honneur de cette sépulture. Une ordonnance de Louis-Philippe avait, en 1830, confirmé la loi de l'assemblée nationale. Il est vrai que deux décrets des deux Napoléon avaient rétabli le culte au Panthéon, mais ces décrets n'avaient jamais été exécutés.
Le gouvernement de la République jugea que, pour restituer le Panthéon aux grands hommes, une loi n'était pas nécessaire un décret suffisait.
Le 26 mai 1885, deux décrets du président de la République étaient insérés au Journal officiel. Le premier rendait le Panthéon « à sa destination primitive et légale Le second décidait que le corps de Victor Hugo serait déposé au Panthéon. Ainsi le corps de Victor Hugo irait reposer au Panthéon, après être parti de l'Arc de Triomphe. On ne pouvait, jusqu'ici, rien rêver de plus grand. La décoration de l'Arc de Triomphe ne devait pas être terminée avant le samedi 30 mai. La date des funérailles fut fixée au lundi 1er juin, onze heures du matin. Le corps de Victor Hugo serait exposé sous l'Arc de Triomphe pendant la journée du dimanche 31 mai.

L'itinéraire du cortège funèbre fut ainsi réglé par le conseil

des ministres il descendrait les Champs-Elysées jusqu'à la place de la .Concorde, traverserait le pont, suivrait le boulevard Saint-Germain, prendrait le boulevard Saint-Michel et arriverait au Panthéon par la rue Soufflot.
A l'Arc de Triomphe, des discours seraient prononcés au nom des corps,constitués le sénat, la chambre des députés, le gouvernement, l'académie française, le conseil municipal de Paris, le conseil général de la Seine. Les autres discours seraient prononcés au Panthéon.

Le lundi l"juin, jour des funérailles nationales, serait comme un jour férié. Toutes les écoles et toutes les administrations publiques seraient fermées.
Le samedi 23 mai, le corps de Victor Hugo avait été embaumé et reposait maintenant sur son lit couvert de fleurs. Le visage du poète était tout empreint -d'un calme et d'une majesté suprêmes.

Nombre de villes d'Italie, d'Espagne, d'Angleterre, de Belgique, de Portugal, du Trentin, etc., firent parvenir des adresses « Le peuple grec, écrivait M. Théodore Delyannis, pleure en Victor Hugo le plus ancien, le plus généreux et le plus constant des philhellènes. » Toute l'Europe partageait le deuil de la France. Durant toute la semaine, les journaux, sans distinction d'opinion, furent remplis chaque jour du nom et de la gloire de Victor Hugo. Il faut pardonner, en les omettant, quelques basses insultes cléricales. Partout ailleurs concert unanime de douleur et d'admiration.

Extraits des journaux de l'époque précédés par le nom de l'auteur de l'article

 

Leconte de l'Isle

Dors, Maitre, dans la paix de ta gloire Repose,
Cerveau prodigieux,d'où, pendant soixante ans,
Jaillit l'éruption des concerts éclatants.
Va la mort vénérable est ton apothéose:
Ton esprit immortel chante à travers les temps
Pour planer à jamais dans la vie infinie,

Il brise comme un Dieu les tombeaux clos et sourde
Il emplit l'avenir des voix de ton génie,
Et la terre entendra ce torrent d'harmonie
Rouler de siècle en siècle en grandissant toujours


Edmond Schérer

Le monde civilisé tout entier portera le deuil du grand poète; i! sentira qu'une grande lumière s'est éteinte, et que le plus glorieux des fils de la France moderne est entré définitivement par la mort dans cette immortalité dont, vivant, il avait déjà connu les prémices.
Victor Hugo a ouvert dans notre histoire littéraire une époque. Il a été à la fois très fort et très nouveau. On n'a longtemps voulu voir en lui qu'un chef d'école il a été plus et mieux que cela, un créateur, un initiateur. Je ne vois personne à lui comparer en ce genre, ni Ronsard, ni Corneille, ni Voltaire. Ajoutons qu'il a été plus extraordinaire que les plus grands; Victor Hugo n'a pas été seulement un génie, il a été un phénomène.


Arsène Houssaye

Un siècle après la mort de Voltaire, nous saluons la même apothéose pour Victor Hugo. Ils ne se ressemblent pas parte génie, ce poète et ce philosophe, ces deux conteurs merveilleux ; ils se ressemblent par l'amour de l'humanité. Ce sont deux papes de l'esprit humain.

Henry Houssaye

Le génie de Victor Hugo rayonne sur la France depuis soixante ans. Cinq générations d'écrivains t'ont salué vivant comme un maître souverain. Ce siècle est plein de lui, de ses œuvres, de ses paroles, de sa langue, de ses conceptions, de la musique de ses vers, de la lumière de ses idées. De Sainte-Hélène à Hte de Chio, tous les vaincus ont trouvé sa voix d'airain pour les glorifier. Immense a été et est encore son action sur les lettres françaises. Tous ceux qui tiennent une plume aujourd'hui, les prosateurs comme les poètes, les journalistes comme les auteurs dramatiques, procèdent plus ou moins de lui. Ils se servent d'épithètes et d'images, ils ont des alliances de termes et des surprises de rimes, des tours de phrases et des formes de pensée, qui sont des réminiscences inconscientes de Victor Hugo. Le style moderne est marqué à son empreinte. Son œuvre écrite passe par le nombre des volumes celle même de Voltaire et égale par la. puissance et l'éclat celle des plus grands poètes.

On ne peut pas dire de Victor Hugo qu'il meurt pour entrer dans l'immortalité, car son immortalité avait commencé lui vivant. Depuis quinze ans et plus, il assistait à son apothéose. Ses adversaires mêmes, ceux de la politique et ceux des lettres, se laissaient devant sa glorieuse vieillesse. Et, avec le vingtième siècle, viendra la vraie postérité, non point cette postérité des premières années, soumise à tant de modes et à tant de variations, mais la grande, l'éternelle, l'immuable postérité, celle où sont dans le rayonnement suprême Eschyle, Dante, Shakespeare et le grand Corneille.

 

LES FUNÉRAILLES

31 Mai

A l'Arc de Triomphe
Depuis l'heure où s'était répandue la nouvelle de la mort de Victor Hugo, et pendant toute la semaine où son corps était resté étendu sur le lit mortuaire, la douleur avait été immense, comme peut l'être la douleur d'un peuple.
Les funérailles eurent un tout autre caractère.
On ne sait qui, le premier, prononça le mot « apothéose mais tout de suite ce mot fut dans toutes les bouches et dans toutes les pensées.
Après avoir pleuré son poète, la France, dans ces deux jour- nées suprêmes, ne pensa plus qu'à le glorifier. Ce fut comme une fête funéraire, qui prit aussitôt les proportions d'un colossal triomphe..

La mise en bière du corps .de Victor Hugo avait eu lieu le samedi, à dix heures et demie du soir, en présence de la famille et d'un petit nombre d'amis.

.On aurait voulu que le transport au catafalque de l'Arc de Triomphe se fit la nuit et secrètement. Mais les vingt maires de Paris demandèrent se joindre, dans le trajet, au premier cortège intime. On laissa du moins ignorer l'heure indiquée: la première heure, cinq heures et demie du matin. La foule attendit toute la nuit dans la rue.

A six heures, la bière fut descendue de la chambre mortuaire et placée dans un fourgon des pompes funèbres, qui disparais- sait sous les fleurs et les couronnes.
La famille, les amis, les maires de Paris suivirent, et traversèrent toute cette population émue et recueillie.

La fut jeté pour la première fois, et à plusieurs reprises, ce cri qui devait souvent retentir le lendemain, et qui pouvait paraître singulier sur le passage d'un mort Vive Victor Hugo Pour le peuple, son poète était toujours vivant.~Vive Victor Hugo cela voulait dire Vive son œuvre et vive sa gloire Parmi les amis qui suivaient le convoi, un groupe a part était formé par des jeunes gens qui avaient réclamé l'honneur de veiller auprès du corps, pendant le jour et la. nuit où il allait. rester sous le catafalque de l'Arc de Triomphe. Quels étaient ces jeunes gens ? Les mêmes qui, quatre ans auparavant, avaient préparé la fête de l'anniversaire du 27 février 1881. On se rappelle que, ce jour-là, ils avaient assigné l'Arc de Triomphe comme point de départ au peuple qu'ils amenaient saluer Victor. Hugo Ils amenaient aujourd'hui Victor Hugo à la rencontre du peuple, au même lieu de rendez-vous.


Rien de plus grandiose que cet aspect l'Arc de Triomphe en deuil.

Du haut du fronton, un immense crêpe noir tombe en diagonale de la corniche opposée au groupe de Rude. Le quadrige de Faiguière, qui surmontait alors le monument, apparaissait aussi sous un voile noir. Aux quatre coins pendent des oriflammes. De longues draperies noires frangées de blanc, décorées d'écussons où se lisent les titres des œuvres du poète, ferment trois des ouvertures. Sur l'une des faces latérales, l'image de Victor Hugo, portée par deux Renommées embouchant la trompette lyrique. Sous la grande arche faisant face à l'avenue des Champs-Élysées se dresse le catafalque. Il est surélevé de douze marches et touche presque à la voûte. A la base, un grand médaillon de la République. Au-dessus, les hautes initiales V. IL, que surmonte une sorte de disque lumineux aux rayons phosphorescents.

A partir du moment où le corps fut exposé sous l'Arc de Triomphe, le peuple, que le poète aimait, n'a cessé de l'entourer. Paris entier, non plus, comme en 1881, pendant six heures, mais pendant un jour et une nuit, a défilé ou s'est tenu devant son cercueil, consacrant par son hommage unanime l'entrée du maitre, non plus dans sa quatre-vingtième année, mais dans son immortalité.

Les boulevards, les rues, les avenues, présentaient, dans Paris, le même aspect singulier des groupes et des voitures marchant dans la même direction, tous n'ayant qu'un unique objectif, l'Arc de Triomphe.

La foule répandue sur les avenues qui aboutissent à l'Étoile s'arrêtait devant le cordon ininterrompu des cavaliers de la garde républicaine entourant le monument. Ceux qui voulaient dénier devant le catafalque prenaient la file sur l'avenue Friedland. Quelle file longue de trois cents mètres sur toute la largeur de l'avenue une masse compacte, que ni le soleil, ni l'attente, ni la poussière, ne parvenaient à entamer; des femmes, des vieillards qui ne se fatiguaient pas des enfants sur les épaules de leur père, d'autres mêlés à la cohue et qu'on retirait par instants à demi étouffés.


A sept heures, la foule était aussi épaisse qu'au commence- ment de la journée mais, en vertu des décisions prises, le défilé devait s'arrêter. Bon nombre de ceux qui avaient attendu pendant deux ou trois heures voulurent néanmoins passer, maigre les gardes. H s'ensuivit un tumulte, qui heureusement n'eut pas de suite. Les milliers de citoyens venus pour honorer une dernière fois le grand mort eurent bien vite repris leur attitude calme et digne.
On avait, à ce moment, de la place de la Concorde, un coup d'oeil saisissant l'avenue des Champs-Elysées noire et grouillante de foule; au-dessus du rond-point de Courbevoie, les derniers feux du soleil couchant empourprant l'horizon, et l'Arc de Triomphe détachant sa masse sombre sur ce fond d'or et de flamme.

L'exposition nocturne du corps de Victor Hugo fut quelque chose de plus étonnant encore que tout le reste, et ceux devant lesquels cette vision a passé ne l'oublieront jamais.

Dans la soirée, la marée de la foule était revenue, plus énorme, s'il est possible, que dans le jour. A partir de neuf heures, les Champs-Elysées et. toutes les avenues rayonnant autour de l'Étoile charriaient de véritables Neuves humains. 'Ce que cette foule avait sous les yeux était inimaginable. Par un merveilleux parti pris de lumière et d'ombre, on n'avait projeté de clarté, une clarté très vive, que sur un seul côté, le coté droit, de l'Arc de Triomphe. Tout autour, dans les lampadaires allumés, brûlait une flamme verdâtre. Sur la chaussée, au pied du cénotaphe déroulant ses profils lamés d'argent sur un ciel gris et triste, s'ouvrait une double haie de cuirassiers portant des torches. Reflétées par l'acier et le cuivre des casques et des cuirasses, toutes ces lueurs tremblantes brillaient et voltigeaient fantastiquement sur ces cavaliers noirs, superbes dans leur immobilité de statues. De même, sur la face de pierre impassible et morne de l'Arc de Triomphe, les longs plis flottants des drapeaux et des oriflammes se tordaient et s'échevelaient, comme désespérés, dans le vent.

 

Paris s'est versé tout entier sur le parcours du cortège. Le reste de la grande ville est un désert. De rares passants dans les rues silencieuses; pas de voitures; les boutiques fermées;. sur la devanture de la plupart, un écriteau porte « Fermé pour deuil national ».

 

Il est six heures et demie quand le dernier groupe a passé. Le corps de Victor Hugo accompagné par la famille et les amis les plus proches, est alors descendu dans les cryptes du Panthéon. Telle fut la splendeur de cette journée, qui restera comme l'une des plus belles et des plus pures de notre histoire de France.

 

 

Publié dans Français

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E
Je vous recommande cet ouvrage:<br /> Victor Hugo vient de mourir, Judith Perrignon, éditions l’Iconoclaste<br /> Bien à vous<br /> Emmanuel
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